Histoires de Landéda
Historique des fours à goëmon
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Vous trouverez ci-après un texte faisant un historique des fours à goémon, partie incontestable de notre « patrimoine des abers ».
Mon idée était de montrer que les fours à goémon ont été utilisés pour différents usages au cours de leur histoire et ont failli être abandonnés à plusieurs reprises, et pas seulement à cause de la concurrence du Chili comme s'en souviennent les anciens.
Ayant fait un stage chez Solvay à Dombasle près de Nancy, je connaissais l'aspect "chimie" du sujet, sur lequel je m’étends un peu, mais la chimie est nécessaire pour en comprendre l’histoire...
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Les fours à goémon et la « soude »
COMMENT FONCTIONNE UN FOUR A GOEMON ?
L’incinération des laminaires sèchées s’effectue vers le début de l’automne, en plein air, à proximité des lieux de récolte, dans des fours de type assez primitif. Un four est une rigole de 10 à 15 mètres de long et de 60 centimètres de large pour 40 centimètres de profondeur environ. Des dalles de pierre tapissent le fond et les parois de la fosse. Le feu y est allumé avec des genêts et des ajoncs.
Quand le four est chaud, on répartit les laminaires sèches en couches minces et le feu s’entretient ainsi, en partie étouffé en rajoutant de temps à autre du goémon frais. La température atteint 800°. Peu à peu se forme une bouillie grise que l’on doit remuer avec de gros bâtons ferrés. Dans cet état pâteux, on sépare la masse en blocs de 50 centimètres environ avec des laminaires fraîches. On obtient ainsi lors du refroidissement, des blocs ou ‘pains’ de soude.
Cinq à six tonnes de goémon frais donnent une tonne de goémon sec avec lequel on prépare environ 200 kg de soude, et plus tard près de 10 kilos d’iode...
UN PEU D’HISTOIRE ET DE CHIMIE...
Il y a « soude » et soude.
La « soude » des fours à goémon, ou « soude naturelle » est en fait un mélange de cendres qui contient une proportion utile d’« alcalis » principalement des carbonates de sodium (Na) et de potassium (K).
Elle est connue des EGYPTIENS qui la récoltent en été sur le bord des lacs salés : c’est le « Natron » (d’où le symbole du sodium « Na »). LES ARABES la connaissent aussi : ils parlent de « Kali » (d’où provient le terme « alcali »). Ils la fabriquent à partir de plantes salines diverses par séchage/brûlage; selon le procédé repris chez nous dans les fours à goémons.
En fait, on peut considérer les fours à goémon comme une juxtaposition de foyers de cuisson des aliments détournés pour utiliser les cendres plutôt que la chaleur.
AU IViè siècle, on trouve une pâte de cendres et de graisse animale sous le nom de "SAPO", D'ORIGINE GAULOISE (ils s’en lavaient les cheveux, d’où leurs reflets roux dû aux tanins de hêtre, couleur que l’on retrouve aussi dans les voiles traditionnelles pour la même raison). C’est l’origine du mot « savon », les romains ne le connaissaient pas, bien qu’ils apprécient les bains de vapeur. Au Moyen-Age non plus en France ce n’était pas très prisé (peut-être sous l’influence latine ?).
La « soude » naturelle était recherchée pour LA FABRICATION DU VERRE, car elle abaisse le point de fusion du sable.
C’est d’ailleurs pour cette raison que les fours à goémon se sont multipliés en Bretagne sous Louis XIV. Il en avait grand besoin pour que Saint-Gobain lui fabrique sa galerie des glaces, après avoir réussi à recruter un verrier Vénitien pour connaitre leur procédé de fabrication de vitres par soufflage. Le verre à vitre s’est ensuite largement répandu, entretenant la demande de « soude ».
Des importations des Amériques complétaient la fourniture de « soude », assurée également par Marseille à partir de salicorne et dont la qualité était réputée meilleure que la bretonne. Mais ce n’est pas à cause de cette concurrence que les fours à goémon ont un peu périclité, les capacités de transport limitant la quantité de cette provenance.
AVANT 1790, le produit vendu sous le nom de soude restait à la fois rare, cher et indispensable. En fait il ne s’agissait pas de notre soude caustique (ou hydroxyde de sodium) mais du carbonate de sodium, utilisé pour le blanchissage du linge, le dégraissage des laines, et surtout pour la fabrication du verre et du savon.
LES FOURS A GOEMON AURAIENT PU ETRE ABANDONNES A LA REVOLUTION...
En effet, c’est plutôt la « soude industrielle » inventée par LEBLANC qui en 1790 a détrôné cet usage des fours à goémon. Cette soude est du carbonate de sodium, plus pur donc, et il permet d’avoir un verre moins vert. Il est obtenu par attaque acide du sel marin puis calcination en présence de calcaire. Son procédé de fabrication a été perfectionné une première fois en 1880 par Solvay, bien connu des belges et des Nancéens puisque le sel gemme, le calcaire et le charbon sont des produits disponibles dans les mines autour de Dombasle en banlieue de Nancy.
Une anecdote locale raconte que ce perfectionnement serait dû à un apport fortuit d’ammoniaque par une action réprimandable d’ouvriers qui se seraient soulagés dans une péniche de calcaire bloquée à quai pour cause de grève ! (Comme quoi les meilleures inventions ont parfois des origines fortuites)
Depuis, second perfectionnement, on utilise plutôt la « soude caustique ». L’hydroxyde de sodium est obtenu par électrolyse du chlorure de sodium (sel marin ou sel de mine), avec comme sous-produit du Chlore, réutilisé encore par Solvay dans les années 1950 pour synthétiser le chlorure de vinyle, monomère du bien connu PVC...
Mais cela n'a pasencore sonné le glas des fours à goémon...
HEUREUSEMENT, LE SALUT EST VENU DU CONQUET...
...qui a permis aux fours à goémon de rester en usage jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. En effet, outre le maintien du brûlage du goémon comme source d’engrais concentré, dès 1830, les pains de soude ont servi dans l’usine Tissier, puis dans d’autres usines locales, à fabriquer l’iode largement préconisée par les médecins avant la découverte de la pénicilline.
En effet, par attaque du pain de soude à l’acide sulfurique l’usinier va en extraire par sublimation deux à trois kilos d’iode.
CE QUI A SONNE LE GLAS DEFINITIF DES FOURS A GOEMON...
La même fabrication de l’iode par le même procédé à partir des nitrates du Chili, utilisés aussi comme engrais, était plus rentable, d'autant qu’avec les cargos à vapeur, les capacités de transport maritime sont plus importantes et moins dépendantes des vents. C'est alors la fin des fours à goémon.
MAIS AVEC LE GOEMON IL N’Y A PAS QUE LA « SOUDE » :
Autre usage des algues : les engrais
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Depuis toujours le goémon a été utilisé comme engrais, (et il l’est encore) sinon, compte tenu des péripéties relatées ci-dessus nous (les papys d’aujourd’hui) n’aurions pas connu le goémon étalé sur les dunes et rassemblés en meules odorantes. La variété d’algue utilisée pour cet usage est le « bizhin du » (goémon noir en breton), composé principalement de divers fucus. C’est du « goémon d’épave » : arraché par les tempêtes et récolté sur les plages.
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On ne voit plus maintenant le goémon étalé sur les dunes car l’industrie a pris le relais du séchage, c’est le cas de l’usine Glaizot à St Antoine de l’Aberwrac’h . Créée vers 1912 pour la fabrication de l’iode, elle a failli disparaître en 1930 – elle a même été déclarée en faillite - mais grâce à un four rotatif comme celui des cimenteries elle a pu survivre et faire vivre les goémoniers du secteur jusque dans les années (19)60. En effet le séchage sur la dune est aléatoire : s’il pleut trop pendant les 3 jours minimum qu’il dure, le goémon pourrit et tout est perdu. L’usine Glaizot a fermé définitivement quand les fabricants d’engrais chimiques l’ont rachetée et ont regroupé l’activité avec les leurs, aussi saisonnières mais décalées.
Autre usage des algues : l’alimentation « animale »
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Depuis toujours, et pratiquement plus maintenant, le goémon (dessalé) est utilisé pour la nourriture des animaux. C’était une variété particulière, appelée « bizhin saout » ("goémon à vaches" en breton), en fait elle est connue et commercialisée maintenant sous le nom de « dulce ». Entre les 2 guerres une étude dans la cavalerie a même montré que leur pouvoir nutritif était au moins équivalent à celui de l’avoine pour les chevaux !
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Les « ulves », étaient aussi autrefois utilisées dans les salades. Blanchies, il me semble qu’elles étaient aussi un ersatz d’œuf dans des pâtisseries car elles sont soufrées. D’ailleurs lorsqu’on les laisse se décomposer sur les plages elles dégagent une horrible odeur d’œufs pourris : ce sont les fameuses « algues vertes ».
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Une autre variété est commercialisée dans les pays anglo-saxons, pas en France, c’est le « steak du goémonier », ou « Dilsea carnosa », une algue rouge très tendre que l’on peut cueillir sur les rochers aux grandes marées ou trouver parmi le goémon d’épave.
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Enfin, les japonais utilisent le « Nori » (ou prophyrea ), une autre algue rouge, pour faire leurs suchis.
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D’autres algues sont commercialisées pour l’alimentation, car aucune n’est réellement toxique, mais c’est un autre sujet...
Autre usage des algues, la plus importante maintenant : les gélifiants
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Pourtant cet autre usage important est méconnu : les alginates et carraghénates (c’était également un débouché pour l’usine Glaizot en son temps).
Quelle différence entre ces 2 produits, tous deux gélifiants et émulsifiants ?
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LE CARRAGHENATE est extrait du « Pioka » (mot breton, en français c’est du « chondrus crispus » ou « carraghène »). C’est un sucre (un « polysaccharide ») très utile car gélifiant à chaud contrairement à la gélatine (extraite des cartilages animaux...). Vous le trouverez dans les produits alimentaires sous le code E 407, notamment dans les flans et crèmes gélifiées.
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L’ALGINATE est au contraire un « faux sucre » (pour les chimistes du « polymanurronate sodique »). Extrait des laminaires, (nommés « tali » en breton, « Kombu » en japonais) il est insipide et non digéré. On le trouve par exemple dans le coca, son code alimentaire est E 401, avec des variantes jusqu’ à E404.Il est également souvent utilisé dans les shampoings et autres produits de beauté. Il sert aussi d’enrobage des électrodes de soudure, les célèbres statues du musée Grévin sont moulées dans des alginates !
Si vous voulez voir la différence entre ces produits le plus simple est de cueillir ou ramasser une « laminaria saccharina », vous savez, cette laminaire longue de plusieurs dizaines de centimètres, large d’une dizaine de centimètres avec les bords festonnés. Si vous la laissez sécher, elle se couvre d’une poudre blanche sucrée : la saccharine ( bien connue comme ersatz de sucre pendant la Guerre de 40), ensuite vous la faites bouillir avec un peu de vinaigre pour enlever le sel et l’iode ; ainsi blanchi dans l’eau vous avez l’alginate.
Industriellement, c’est un peu plus complexe pour le purifier et adapter sa consistance à l’usage prévu.
Exploitation du goémon à Landéda :
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LE MOT DE LA FIN...
Par de nouvelles recherches, je n'ai pas retrouvé les textes dont je me suis inspiré, simplement d'autres qui abordent les mêmes thèmes dans des termes proches.
Ainsi, j'ai trouvé 2 articles très intéressants, bien plus détaillés et étayés que le mien sur le même sujet :
- l'un de Natali TORTOSA sur le site "www.Sibolmanjai.org" (il concerne à la base un « four à soude » du « Jaï », un cordon de dunes entre l’étang de Bolson et l’étang de Berre »)
- l'autre sur le site www.seaus.free.fr/spip.php?article130 intitulé « Les algues, hier et aujourd’hui … », un cours de chimie pratique de Gérard BORVON, professeur à Landerneau.
Je suis à la disposition de quiconque pense devoir ajouter un bémol à mes affirmations. On pourra en discuter, et modifier ou ajouter tous les compléments ou précisions jugées utiles.
Adressez vos commentaires à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., ou on en parle ensemble lors des réunions de Patrimoine des abers.
Par exemple, d’après les articles ci-dessus, on peut préciser sans aller trop loin que les fours sont orientés dans le sens des vents dominants, souvent au sommet de petites éminences, que parfois des pierres sont placées dans le four pour fractionner plus facilement le pain de soude, ou encore que l'outil utilisé pour remuer le foyer s'appelle "pifoun" ou « pik fourn »; c’est une barre métallique aplatie en pelle à l’extrémité.
On notera aussi que, dans le Midi, les fours sont circulaires et c’est de la salicorne qui y est brulée.
BIBLIOGRAPHIE SUR CE SUJET :
- Article de René GEORGELIN dans le "Cahier de Landéda n°3" ( version PDF de l'article original, "Cahier de l'Iroise" n°67, 1970)
- suite de l'article de René GEORGELIN dans le "Cahier de Landéda n°4"
- Articles de journaux de janvier 1932 évoquant la "grande pitié des goémoniers"
- Article "la grande pitié des goémoniers dans les années 30" par Jean-Pierre HIRRIEN (synthèse sur le sujet)
- Fiche de l'Inventaire Régional sur une "pelle à goémon"
- Site internet : Histoire maritime de Bretagne nord