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Sur le versant Sud de la colline où se trouve
juchée Lannilis, dominant le cours paisible de l'Aber Benoît, le Manoir du Roual
(...) dresse dans les grands arbres sa carrure massive.
Il ne présente rien de remarquable au
point de vue architectural. La partie centrale la plus ancienne ne remonte qu'à
la moitié du XVIIIe siècle. Par un acte du 29 Mai 1748 passé
devant Me Jacolot, notaire à Lannilis, le Marquis de Ploeuc, propriétaire du
Roual, vendait une ferme à Plouguerneau (Thévézan Vihan) pour 2.000 livres qui
devaient servir à la reconstruction de son Manoir. Mais antérieurement au manoir
actuel, un autre fort antique a eu ses heures de célébrité et nous allons
dresser ici un tableau succinct des personnages qui, au cours des siècles, se
sont succédé à la tête de cette noble maison.
La famille qui y habitait au début du XVe siècle portait le
nom même du Manoir : Roual. Mais dès 1460 Nicolas
Gourio en est propriétaire et pendant deux siècles cette famille Gourio
(toujours existante en 1957 et représentée en Belgique par les Gourio du Refuge)
résidera au Roual. D'après l'arrêt du 11 Juillet 1669, de la Chambre de la
Réformation de Bretagne, c'était une famille noble d'ancienne ancessorie et sans
nulle roture. Ses armes étaient : Ecartelées aux 1 et 4 de gueules à deux bâches
d'armes ou consulaires adossées d'argent au chef d'or, aux 2 et 3 d'argent à
trois chevrons d'azur. Sa devise: "Dieu me tue
", ce qui veut dire: "Que Dieu me protège" (le
vieux verbe français disparu " tuer " venait du latin " tuer! " = protéger). Le
Manoir relevait noblement et directement du Duc de Bretagne puis, après
l'annexion, du Roi de France ainsi qu'il résulte d'un acte passé le 12 Mai 1556
devant Mes Audren de Kerdrel et Touronce, notaires à Lannilis. Il serait trop
long d'énumérer ici tous les seigneurs de cette famille qui habitèrent le Roual.
Citons seulement Christophe 1er Gourio, qui fit des échanges de terrains les 5
Décembre 1492 et 28 Septembre 1503 avec le Prieur et les religieux Bénédictins
de Lothunou et qui était en 1530 gouverneur de l'importante Chapelle Notre-Dame
de Trobérou, Louis Gourio, son fils, qui fut nommé le 30 Août 1548, gouverneur
du Château du Taureau à Morlaix, Christophe II Gourio, son petit-fils, qui
épousa Jeanne Guinhamon, dont il eut un fils, François, né au Roual le 16
Octobre 1567. L'acte de baptême de ce dernier, rédigé en latin, qui se trouve à
la mairie, indique que le parrain fut François Simon de Tromenec, en Landéda,
dont le fils devait prendre part en 1600 à un fameux duel contre le Seigneur de
Carman.
Le 14 Décembre
1663, devant Maîtres Gohier et Bretin, notaires à Nantes,
Jeanne Gourio épousait par contrat Messire Charles de Lys, seigneur de Beaucé, à
qui elle apportait en dot le Manoir du Roual. Une de leurs filles, Marie-Ursule
de Lys épousa le 26 Décembre 1688, Messire Alexis Le Meignant, Comte de Kermoel. Devenue veuve, la Comtesse
de Kermoal vendit le 8 Avril 1715 en l'étude de Me Jamon,
notaire à Rennes, le Manoir du Roual et toutes ses dépendances au Lieutenant de
Vaisseau Pierre Betbeder, sieur de Bordenave. Le manoir allait ensuite passer à l'une des
soeurs de ce dernier, épouse du sieur Goubert, dont la fille Marie Guionne
épousa le Marquis de Ploeuc, qui avait 27 ans de plus qu'elle
(Vincent de Ploeuc, seigneur de Kerharo en Cléden-Cap-Sizun). Celui-ci, chevalier de
St-Louis et Capitaine de Vaisseau, vint habiter le Roual où il mourut à
78 ans, le 15 Septembre 1753. Ses obsèques furent présidées par
M. l'abbé de Chambellan, Vicaire Général de Léon. Sa veuve alla habiter son
hôtel particulier à Brest, paroisse St-Louis, où elle mourut le 29 août 1762. Deux jours
plus tard, elle était enterrée en son enfeu en l'Eglise de Lannilis.
Ce fut la dernière personne à être inhumée dans notre Eglise, le
Parlement de Bretagne ayant interdit à cette époque d'enterrer qui que ce soit dans
les Eglises.
Le Manoir du
Roual passe alors au neveu des Ploeuc, le Marquis de la Jaille dont l'existence
mouvementée mériterait à elle seule tout un volume. Nous espérons pouvoir
raconter un jour la vie de ce brillant officier de Marine, très riche. Outre le
Roual et toutes les fermes qui en dépendaient, il possédait en effet le manoir
de Kérasquer en Lannilis, de nombreuses terres en Cornouailles, dans le Poitou
et même à St-Domingue. Il avait épousé l'une des plus belles filles de la
noblesse bretonne: Marie-Vincente de Kerguiziau de Kervasdoue, qui fut appelée
et reçue à la Cour par la Reine-Marie-Antoinette. Après avoir participé à 8
combats navals contre les Anglais et à maintes missions périlleuses, le Marquis
de la Jaille faillit se faire massacrer par la populace à Brest le 27 Novembre
1791. Après avoir subi les pires violences, il fut sauvé par un homme courageux,
M. Lauverjat, charcutier d'une force et d'une stature athlétiques, qui réussit à
le faire sortir de la ville. Rentré au Roual, il s'empressa d'émigrer avec sa
femme et ses enfants.
Saisi comme bien national, le Roual fut
vendu pour 90.600 livres le 13 Vendémiaire an 3 à un distillateur de Brest,
Jean-Baptiste Roulet qui acquit également le moulin et la métairie de
Trousarc'hant pour 443.000 livres.. Le .28 Juillet 1831, en l'étude de Me Floch,
notaire à Brest, Mme Vve Roulet revendait le Roual à M. et Mme Riverieulx qui à
leur tour le cédaient pour 80.000 livres le 28 Juin 1834, par l'office de Me
Mével, notaire à St-Renan, à Mlle Reine de Kerguiziau de Kervasdoue, nièce du
Marquis de la Jaille, le spolié de 1795. Celle-ci habita de longues années le
Roual mais mourut au Châ-teau de la Haye, en St-Divy, le 20 Mars 1858. Le 21
Juin suivant, son frère et héritier, M. Le Conte de Kervasdoué, vendait en
l'étude -de Me Rolland, notaire à Lannilis, le Roual et ses dépendances à Madame
Elisabeth-Louise-Denise Bersolle, épouse de M. Louis Halligon et à M. Ernest
Halligon pour la somme de 113.627 francs.
Le dernier acte de l'histoire du Roual se passait le 26
Juillet 1882
, en la chapelle du Roual, où Mlle Jeanne Halligon,
fille de M. Louis Halligon, épousait M. Paul Audren de Kerdrel. De ce mariage
devait naître Mlle Jeanne de Kerdrel, propriétaire actuelle du Roual, à qui nous
renouvelons ici notre vive gratitude pour son extrême bienveillance à nous
ouvrir si largement ses archives.
P.-S.- Certains se sont étonnés que
nous ayions donné le chiffre de 443.000 livres comme prix de vente de la ferme
de Trousarc'hant et des 2 moulins en dépendant en l'an III. Les Archives du
Roual sont formels sur ce point et il n'y a d'ailleurs pas lieu de s'en étonner,
l'émission des fameux assignats ayant amené à cette époque une dévaluation
considérable de la livre française.
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